Les Opérations en Méditerranée

sous le commandement de l'Amiral Gauchet

( Décembre 1916 - Novembre 1918 )






Par l'amiral Varney
Le 15 décembre 1916, le Vice- Amiral Dartige du Fournet quitte Salamine à bord de l'Ernest Renan pour rentrer à Toulon. Le même jour, son successeur, le Vice-Amiral Gauchet, arbore sa marque sur la Provence. On ne pouvait confier à un meilleur chef l'écrasante responsabilité d'assurer la sécurité de la navigation alliée de Gibraltar à Suez.
Au moment où l'Amiral Gauchet prend ses fonctions, il existe en fait deux Commandants en chef: un amiral italien pour l'Adriatique et lui même pour le reste de la Méditerranée. La subordination de ces deux autorités en cas d'opérations combinées dans l'Adriatique reste encore en litige. De plus, la protection de la navigation commerciale a conduit à découper le théâtre d'opérations en un certain nombre de zones géographiques, réparties entre les marines alliées. Les inconvénients de cette organisation ayant éclaté depuis longtemps aux yeux de toutes les Amirautés, les échanges de vues entre les gouvernements vont se multiplier pour y porter remède. Au cours de 1917, cinq conférences se réuniront avant la création (19 décembre) d'un simple organe de liaison: le Conseil Naval interallié. C'est que les susceptibilités nationales seront toujours plus fortes que les intérêts immédiats et à part la centralisation de la conduite de la guerre sous-marine imposée par la gravité du danger, la question du commandement unique en Méditerranée ne sera jamais réglée.




LES OPÉRATIONS CONTRE LA GRÈCE

Le 15 décembre 1916, le Vice-Amiral Gauchet trouve à Salamine les cuirassés de la troisième escadre (V. A. Darrieus) et deux croiseurs de la première division légère (C. A. Biard), qu'il renvoie à Corfou en rappelant la deuxième division légère. Les anglais sont représentés par l'Exmouth (C. A. Hayes Sadler) qui sera remplacé le 11 mars 1917 par l'Implacable. Le Bruix et le Latouche-Tréville sont au Pirée (C. A. de Marliave).
Le blocus de la Grèce, notifié le 7 décembre, est effectif depuis le 8. A la même date le gouvernement a décidé de confier au général Sarrail la direction des opérations contre la Grèce, l'Amiral Gauchet devant lui prêter tout son concours.


LA RÉACTION

Le 10 janvier la conférence de Rome, à laquelle assiste le Général Sarrail, décide de remettre au roi Constantin un ultimatum exigeant l'exécution immédiate des demandes antérieures. Le 16 janvier, le gouvernement d'Athènes cède : les fameuses batteries d'artillerie sont livrées; les troupes grecques sont concentrées dans le Peloponèse, après avoir participé à une cérémonie expiatoire comportant le salut des pavillons alliés.
Le 3 février, le Commandant en chef quitte Salamine avec la deuxième division légère et rallie Corfou, laissant la direction des opérations contre la Grèce au V. A. de Gueydon, successeur du V. A. Darrieus, qui doit continuer le blocus du golfe d'Athènes. Sa mission éventuelle en cas d'hostilités ouvertes comporte la capture des cuirassés Kilkis et Lemnos, du croiseur Averoff, de tout le matériel flottant du Pirée; la destruction des ouvrages d'art, du chemin de fer d'Eleusis à Corinthe et surtout le bombardement d'Athènes après notification.


LES INCIDENTS RECOMMENCENT (FÉVRIER-AVRIL 1917)

En février la situation devient inquiétante: le peuple qui souffre particulièrement du blocus est travaillé par les ligues de réservistes; on craint des troubles à la faveur desquels l'armée du Péloponèse traverserait le canal de Corinthe. Le 26 février 1917, le gouvernement de la Défense Nationale, crée à Salonique par M. Venizelos pour battre en brèche celui d'Athènes, mobilise les pays soumis à son autorité.
En mars de nombreux incidents éclatent. A Patras des soldats tirent sur une embarcation française; le 16, nous devons occuper Milo. A Zante, les troubles sont entretenus par quelques fonctionnaires royalistes, le club vénizéliste en profite pour s'emparer du pouvoir; nous rétablissons l'ordre. Finalement l'île adhère le 9 avril au gouvernement de Salonique; son blocus est aussitôt levé.
Le 11 avril, nous expulsons les notables d'Argostoli hostiles à notre cause; un gouvernement provisoire se constitue sous la direction du commandant supérieur français. L'île est débloquée le 21; il en est de même, peu de jours après, de Sainte-Maure qui adhère au gouvernement de Salonique.
Les nouvelles reçues d'Athènes, au début d'avril, sont alarmantes et le gouvernement ordonne de se préparer à une action énergique. La deuxième division légère (C. A. Charlier) se concentre à Argostoli pour surveiller l'isthme de Corinthe.


LA MISSION JONNART

A la fin de mai les gouvernements alliés décident d'en finir en exigeant du gouvernement grec toutes les garanties nécessaires à la sécurité de l'armée d'Orient. Désireux d'éviter l'action simultanée et discordante de leurs nombreux représentants ils s'entendent pour donner pleins pouvoirs à M. Jonnart. Le Général Sarrail et l'Amiral Gauchet doivent lui fournir l'appui de leurs forces.
M. jonnart arrive le 7 juin à Salamine, s'installe sur la Justice et commence ses pourparlers; le 10 sa décision est prise, et il remet au gouvernement grec un ultimatum exigeant l'abdication du roi Constantin, dans les quarante-huit heures.
Toutes les mesures militaires sont prises immédiatement pour occuper le Pirée, Athènes et les berges du canal de Corinthe.
Un corps de 13.300 hommes et 3.600 chevaux est embarqué à Salonique les 8 et 9 juin sur quatorze transports, formant quatre convois, un à destination de Corinthe, les autres du Pirée; dix torpilleurs sont rassemblés pour assurer les escortes.
L'occupation de l'isthme de Corinthe, destinée à empêcher l'intervention des troupes du Péloponèse avant l'expiration de l'ultimatum, s'effectue par deux débarquements simultanés. Dans l'Ouest, l'opération est conduite par le Jules Michelet et le Victor Hugo qui mouillent à Corinthe le 11 juin à deux heures, et débarquent immédiatement deux compagnies de sénégalais.
Dans la même nuit la République et le Latouche-Tréville arrivent à l'entrée orientale du canal, où ils trouvent un convoi de quatre vapeurs chargés de troupes, venant de Salonique. Au jour le débarquement de l'infanterie est terminé; le 12, tout le matériel est à terre. Des deux côtés la surprise est complète.
Dans la matinée du 11 juin, dix transports de troupes et huit torpilleurs d'escorte venant de Salonique mouillent à Salamine, près des cuirassés et des croiseurs alliés. Tout est prêt pour occuper le Pirée, mais on se rend compte que le déploiement des forces a suffi et que le roi Constantin s'inclinera. En attendant, suivant l'avis de M. Jonnart, l'Amiral de Gueydon renonce à s'emparer des bâtiments grecs; l'Amiral Biard chargé de les surveiller n'interviendra que s'ils font acte d'hostilité.
Le 12 au matin, la Vérité et la Justice s'embossent pour tirer sur Athénes, tous les navires sont prêts à marcher; les torpilleurs et canonnières croisent devant le Pirée et en baie de Phalère; tout est prêt à midi, heure fixée pour l'expiration de l'ultimatum. Mais cette fois le coup a porté: le gouvernement grec accepte nos conditions: le roi Constantin abdique.


LIQUIDATION DES AFFAIRES GRECQUES

Le roi Constantin s'embarque le 14 juin à Chalkis sur un vapeur grec qui le conduit à Brindisi, sous l'escorte de deux torpilleurs français. Il est remplacé, avec l'agrément des puissances alliées, par le roi Alexandre qui choisit M. Venizelos comme premier ministre.
Le 16 juin, le blocus de la Grèce est levé. Le Général Sarrail occupe la Thessalie. Le 25, à la suite d'une manifestation royaliste, les troupes françaises occupent Athènes: pendant plusieurs semaines nos batteries de 75, hissées sur l'Acropole tiendront la ville en respect. Au début de juillet, M. Jonnart rentre en France; les forces navales imposantes réunies à Salamine se disloquent; nous rendons au nouveau gouvernement les navires de guerre saisis en 1916.


LES OPÉRATIONS DE L'ARMÉE NAVALE

NOUVELLE ORGANISATION DES FORCES DE LIGNE

En prenant son commandement l'Amiral Gauchet, qui désire entraîner et conduire lui-même au combat ses plus puissants navires, incorpore la Provence dans la première escadre et se réserve le commandement direct de cette force; mais il délègue une grande partie de son autorité au Chef d'Etat-Major d'armée et aux deux amiraux divisionnaires.
Les 23 et 24 janvier 1917, une conférence interalliée se réunit à Londres, le Commandant en chef est représenté par le Contre-Amiral Fatou. On décide de désarmer les cuirassés anglais stationnés à Tarente et de les remplacer par une escadre française basée sur Corfou; on diminue également les forces de ligne britanniques stationnées en mer Egée pour y envoyer la Patrie et la République. On donne enfin à l'Amiral Gauchet le commandement des opérations franco-italiennes dans l'Adriatique, mais seulement dans le cas où la plus grande partie des forces françaises seraient présentes. Peu après le duc des Abruzzes cède le commandement de l'Armée Navale italienne à l'Amiral Thaon di Revel.
Au début de février, l'Amiral Gauchet arrive à Corfou avec la deuxième division légère. Le lendemain, il rappelle les cuirassés qui restent encore à Argostoli et les remplace par le Victor-Hugo. La base de stationnement principale de l'Armée Navale sera désormais Corfou. Le Commandant en chef estime, en effet, que seule cette position avancée permet de surveiller étroitement les débouchés de l'Adriatique et d'interdire toute sortie de la flotte autrichienne; Argostoli est trop loin du canal d'Otrante pour donner la même sécurité.


ACTIVITE DES SOUS-MARINS ENNEMIS : TORPILLAGE DU DANTON

Le nombre des sous-marins allemands envoyés en Méditerranée ne cessant d'augmenter, leur action commence à se faire lourdement sentir.
Le 4 janvier 1917, le cuirassé russe Peresviet est coulé à la sortie de Port-Saïd; le 8 janvier, le cuirassé britannique Cornwallis est torpillé au large de Malte. Le tour de la marine française ne va pas tarder.
Le 18 mars, à 17 h. 30, le Danton commandé par le C. V. Delage quitte Toulon, sous l'escorte du torpilleur Massue, pour rejoindre l'Armée Navale en passant par Bizerte. Le lendemain, à 13 h. 15, il est frappé à mort par le sous-marin allemand U-C. 64.
Cette dure leçon conduit à renforcer les précautions générales prises pour les déplacements de grands bâtiments: conservation du secret, choix du moment favorable, augmentation des escortes.
L'Amiral Gauchet décide en plus que normalement, les grands navires de guerre seront accompagnés par un minimum de trois torpilleurs. Deux escadrilles d'escorte sont constituées dans ce but, une pour chaque bassin de la Méditerranée.
Les traversées se font autant que possible de nuit avec garage pendant le jour dans des ports abrités; elles cessent pendant la période des nuits lunaires. Les garages prévus, pour les traversées de Toulon à Corfou, sont La Spezzia et Messine. Pour aller de Bizerte à Corfou, les bâtiments s'arrêtent à Messine. Les bâtiments se rendant en mer Egée utilisent Milo, Navarin et Skyros.
La concentration de 1'Armée Navale à Corfou provoque quelques reconnaissances des forces aériennes ennemies. Le 5 janvier 1917 un avion est chassé sans succès par huit de nos appareils. Le 26 mai, deux avions autrichiens sont encore vainement poursuivis par les nôtres.
En juillet 1917, le règlement de la question grecque libère nos escadres de nombreuses servitudes, et permet d'immobiliser plusieurs bâtiments dans les arsenaux de la métropole, pour leur remise en état.


LE SERVICE TARENTE-ITÉA. DESTRUCTION DE L' U-C-38

Le 22 juillet, le service des transports Tarente-Itéa commence à fonctioner. Les troupes de l'Armée d'Orient arrivant par voie ferrée à Tarente, sont conduites par mer à Itéa; on réduit au minimum les risques en effectuant de nuit la partie dangereuse de la traversée, entre le débouché du golfe de Tarente et l'entrée des îles Ioniennes. D'Itéa les hommes sont transportés en camions automobiles jusqu'à Brailo, où ils prennent le train pour Salonique.
Ce service placé sous la direction immédiate du Commandant en chef est assuré d'abord par quelques vieux croiseurs, armés en flûte, puis par des paquebots de la ligne d'Alger. Il se poursuit sans incident pendant quelques mois. Mais sa régularité ne tarde pas à tenter les sous-marins ennemis. Le 12 décembre, l'U-C 38 à l'affût entre Sainte-Maure et Céphalonie, torpille sans succès les transports de troupes. Le 14 décembre, il recommence son attaque et réussit à couler le Châteaurenault. Les torpilleurs d'escorte Lansquenet (C. C. Charezieux) et Mameluck (C. C. Girardon), réagissent immédiatement et parviennent à couler l'assaillant.


NOUVELLE ORGANISATION DE L'ARMÉE NAVALE (AOUT 1917)

En fin juillet, l'Amiral Gauchet réorganise ses forces pour se conformer aux décisions des conférences interalliées, et parer à la pénurie de personnel en désarmant des unités de valeur secondaire.
Le 7 août, la troisième escadre est dissoute; les cuirassés Patrie et République, passant dans la division d'Orient, rallient Salonique et Moudros. Les trois cuirassés Justice, Démocratie, Vérité, forme une division sous les ordres du Contre-Amiral de Marliave.
Le 12 août 1917, la deuxième division légère est supprimée, le Michelet est rattaché à la première division: le Victor-Hugo et le Jules-Ferry sont placés en réserve à Bizerte.
Jusqu'en octobre 1917, le Commandant en chef ne dispose pratiquement d'aucun torpilleur, toutes les unités disponibles étant absorbées par les divisions de patrouille. Théoriquement, une flottille de combat doit se constituer, en cas d'alerte, par le ralliement vers le corps de bataille de toutes les unités affectées à la protection de la navigation commerciale. Mais les escortes entraînent souvent les torpilleurs très loin de la mer Ionienne et l'Amiral Gauchet doit rappeler à plusieurs reprises que ces bâtiments ne sont pas uniquement des chasseurs de sous-marins, et qu'ils ne doivent pas oublier leur mission éventuelle de combat.
D'octobre 1917 à janvier 1918, l'entrée en service de douze torpilleurs construits au Japon améliore un peu cette situation. Le Commandant en chef groupe ces navires en deux escadrilles (deuxième et troisième) qu'il conserve à sa disposition; il en affecte une à l'escorte des transports Tarente-Itéa, l'autre aux missions de l'Armée Navale. Malheureusement la mise au point de ces navires, construits très rapidement, est assez longue et ils ne seront utilisés pleinement que dans la seconde moitié de 1918.


OPERATIONS DE L'ARMEE NAVALE (AOUT 1917 - FEVRIER 1918)

Les opérations de l'Armée Navale se réduisent à des traversées de grands bâtiments. Les pénibles leçons du début de la guerre ont porté leurs fruits; les escortes sont renforcées, toutes les mesures sont prises pour assurer la fermeture des cloisons étanches, multiplier les moyens de redressement, d'épuisement et faciliter le sauvetage. La veille, garantie essentielle des navires qui prennent la mer, est non seulement renforcée mais encore organisée scientifiquement. Des études approfondies, poursuivies dans la deuxième escadre sous l'impulsion du C. V. Ratyé permettent l'installation sur tous les grands navires d'une «couronne de veille», comprenant toute une série de lunettes fauchant continuellement et automatiquement un secteur d'horizon, de manière à couvrir toute la zone dangereuse à la mer, l'installation est servie par des veilleurs sélectionnés et fréquemment relevés.
Le séjour à Corfou de l'Armée Navale est occupé par les nombreuses corvées qu'exige le déchargement des ravitailleurs et l'installation des moyens toujours plus puissants de la base. Les exercices deviennent rares par suite de la crise sérieuse que subit l'approvisionnement en charbon de l'Armée Navale.


LES CONFÉRENCES INTERALLIÉES DE FIN 1917, DÉBUT 1918

A la fin de l'année, les conférences se multiplient, mais consacrent la plupart de leurs travaux aux postes exigées par la guerre sous-marine. C'est d'abord la conférence de Londres (4-5 septembre 1917) destinée à étudier la coopération des Etats-Unis; puis celle de Rome (20-21 novembre 1917) provoquée par l'Italie à la suite de son recul sur l'Isonzo, pour demander aux autres alliés de renforcer leur assistance maritime.
Le Conseil Naval interallié commence à fonctionner le 15 décembre 1917. Il dispose d'un secrétariat permanent qui absorbe progressivement la conduite générale de la guerre navale. Cependant l'obligation d'obtenir l'unanimité des membres pour rendre ses décisions exécutoires, est une cause d'embarras constant dans la direction des opérations.
Au cours d'une nouvelle conférence tenue à Rome (8/9 février 1918), le Contre-Amiral Sims, délégué américain, présente un plan d'opérations en Adriatique comprenant l'établissement d'un barrage de mines entre la côte italienne et l'île dalmate de Curzola, qu'il serait nécessaire d'occuper. Ce projet est étudié par le Conseil Naval interallié, mais on doit y renoncer faute de troupes et de moyens maritimes.
A la fin de 1917, la situation générale s'annonce comme grave. L'avance austro-allemande sur le front italien entraîne l'évacuation partielle de Venise, et les Alliés s'attendent à une poussée énergique sur le front de Macédoine, pouvant provoquer l'évacuation de l'Epire. Le haut commandement naval italien estime que la difficulté des opérations en Adriatique, le conduira à ne faire intervenir ses escadres de ligne que si les forces navales autrichiennes franchissent le canal d'Otrante. Dans ce cas, l'Amirauté italienne aura comme objectif principal de leur interdire l'entrée de l'Adriatique. Ces principes conduisent l'Amiral Gauchet à prévoir l'action éventuelle de ses forces contre les escadres autrichiennes en mer Ionienne, afin d'assurer la sécurité de la Méditerranée dont il est responsable. Le Commandant en chef estime également que l'évacuation de l'Epire, rendrait la base de Corfou intenable et il précise alors son intention de se replier sur Argostoli.


L'ALERTE DU 20 JANVIER 1918

Le 20 janvier 1918, à 5 h. 30, le torpilleur britannique Lizard surveillant les Dardanelles aperçoit brusquement le Sultan-Selim (ex Goeben) et le Midilli (ex Breslau) sortant des détroits. Il alerte les monitors Raglan et M-28, mouillés au nord d'Imbros et comme ces navires ne peuvent appareiller immédiatement, il essaye de les protéger par des rideaux de fumée; mais le tir précis des croiseurs ennemis coule les deux monitors en quelques minutes.
Le Goeben et le Breslau contournent alors Imbros et font route au sud quand le Breslau touche une mine et coule rapidement. A 7 h. 20, quatre torpilleurs turcs qui viennent à son secours sont canonnés par le Lizard et le Tigress; l'un d'eux est atteint et le groupe fait demi-tour. A 7 h. 40, le Goeben attaqué par un avion, manoeuvre pour l'éviter et touche une mine; le croiseur donne immédiatement une forte bande, il diminue de vitesse et rentre dans les détroits. Les batteries du cap Hellés et dix avions turcs empêchent les torpilleurs anglais de tenir le contact.



A 8 heures, l'Amiral Gauchet reçoit par T.S.F. le télégramme conventionnel d'alerte; ce signal retransmis en cascade par plusieurs postes n'indique pas l'origine du message et c'est seulement à la fin de la matinée que la position des croiseurs ennemis sera précisée. Le Commandant en chef ordonne à tous les convois de se garer, et fait allumer les feux de la division Justice; mais les télégrammes ultérieurs annonçant la retraite du Goeben arrêtent les mouvements ordonnés.
L'alerte consécutive à la sortie du Goeben a une répercussion considérable, non seulement dans toute la Méditerranée, mais encore dans l'Atlantique et la mer du Nord. C'est que la présence de ce puissant croiseur de bataille sur les routes fréquentées par le commerce allié pouvait causer des dommages considérables. Cette alerte de quelques heures permet de mesurer les services rendus à la navigation commerciale, par les marins de l'Entente, en débarrassant les mers de tous les navires de surface ennemis.
Après son entrée dans les Dardanelles, le Goeben dont la voie d'eau est importante craint de ne pouvoir atteindre Constantinople et il s'échoue à Nagara; il reste huit jours dans cette situation critique, attaqué sans répit par les avions britanniques de Moudros; il peut enfin aveugler sa voie d'eau et remonter le 27, à Constantinople.
D'après les survivants du Breslau, recueillis par les torpilleurs britanniques au milieu du champ de mines, cette sortie avait été ordonnée pour rendre confiance aux turcs et remonter leur moral.


PLANS D'OPÉRATIONS CONTRE LA FLOTTE DE LA MER NOIRE (FÉVRIER-AVRIL 1918)

En février 1918, un fait nouveau vient bouleverser la situation des forces navales sur le théâtre d'opérations méditerranéen. L'effondrement de la Russie met à la disposition des empires centraux, la flotte de la mer Noire. L'ennemi pourra ainsi opposer deux dreadnoughts, un croiseur de bataille (Goeben), sept cuirassés anciens et quatre croiseurs aux forces de seconde ligne dont les Alliés disposent en mer Egée. Le péril est grave, mais non immédiat, car il faudra certainement quelques mois pour réparer le Goeben et réarmer les navires russes.
Pour parer à cette situation, l'Amiral Gauchet demande qu'on lui rende les bâtiments détachés à Brindisi, en particulier les deux escadrilles de torpilleurs; une serait destinée la mer Egée, l'autre resterait à sa disposition immédiate. Il propose de concentrer tous les sous-marins disponibles en mer Egée, et d'y détacher trois cuirassés type Diderot, trois type Justice et deux croiseurs. Il demande également le matériel nécessaire pour renforcer les champs de mines barrant la sortie des détroits.
En terminant son rapport, l'Amiral Gauchet fait remarquer que les forces italiennes échappent à son autorité et que son action sur les forces britanniques est nulle, bien que les anglais reconnaissent être sous ses ordres. Il ne dispose donc en fait que des forces françaises qui sont dispersées et fatiguées, les équipages des grands navires étant considérés comme une réserve où le département puise sans cesse pour assurer le développement de l'aviation et des divisions de patrouille; les torpilleurs sont usés, sans vitesse ni endurance. Il semble à l'Amiral Gauchet qu'on a agi avec l'Armée Navale comme « un architecte qui, ayant à construire une annexe près d'un bâtiment important, aurait prélevé sur la fondation de celui-ci tous les matériaux nécessaires à sa nouvelle construction. A la première saute de vent, tout s'effondre ».
Le 12 avril 1918, le Conseil Naval interallié est convoqué pour examiner l'importance des menaces venant de la Mer Noire et prendre les mesures nécessaires pour y parer. Les anglais proposent d'envoyer en mer Egée deux predreadnoughts britanniques, deux dreadnoughts et deux croiseurs français. Nos autres forces resteraient concentrées à Corfou où elles recevraient l'appoint d'une escadre italienne. Les propositions de l'Amiral Gauchet sont identiques. sauf qu'il refuse de donner ses dreadnoughts, mais il offre en échange trois cuirassés type Diderot.
Aux réunions suivantes du Conseil Naval interallié (25 et 27 avril 1918), les délégations françaises, anglaises et américaines se mettent d'accord sur la nouvelle répartition stratégique : six cuirassés français et deux britanniques seront détachés en mer Egée, l'Armée Navale française restant à Corfou sera renforcée par quatre dreadnoughts italiens. Mais l'Amiral Thaon di Revel, délégué italien, refuse d'admettre cette dernière proposition, considérant que l'intégralité des forces navales de son pays doit rester à Tarente. Malgré l'intervention des gouvernements, malgré la visite à Rome du sous-chef d'état-major général de la Marine (Contre-Amiral Lanxade) qui propose la constitution, sous les ordres d'un amiral italien, d'une escadre mixte comprenant les quatre dreadnoughts envisagés et deux cuirassés français, les autorités italiennes refusent. Le seul résultat de la conférence sera d'obtenir la restitution des deux escadrilles françaises détachées à Brindisi; cette dernière concession est d'ailleurs consentie à la seule condition de la considérer comme un simple prêt.
Le ler mai 1918, à 15 heures, les allemands entrent à Sébastopol; la flotte russe de la mer Noire tombe entre leurs mains, à l'exception, des deux dreadnoughts Svobodnaya-Rossya et Volga, qui peuvent se réfugier à Novorossik avec neuf torpilleurs, en traversant le blocus tenu par le Goeben et le Hamidieh.




OPÉRATIONS DE L'ARMÉE NAVALE (FÉVRIER A MAI 1918)

Les déplacements de bâtiments isolés pour carénages ou réparations continuent suivant les mêmes principes. Les escortes renforcées comprennent souvent six et même huit torpilleurs. Les forces aériennes de Corfou, solidement organisées, commencent à rendre de grands services. Le centre de dirigeables comprenant deux grands ballons souples de 16.000 mètres cubes est en plein fonctionnement; les ballons font jusqu'à cinq sorties par semaine, de douze à quatorze heures chacune.
En avril, les services de renseignements font prévoir une activité prochaine des forces navales autrichiennes; on signale la présence à Cattaro de deux Viribus-Unitis.


TENTATIVE D'ORGANISATION DU COMMANDEMENT

Le 2 juin 1918, le Gouvernement britannique propose au Conseil Supérieur de la Guerre à Versailles, de nommer un amiralissime anglais pour assurer l'unité de front des opérations navales en Méditerranée. Cette mesure aurait l'avantage de donner satisfaction à l'opinion britannique, émue par les pouvoirs accordés au Maréchal Foch. Le Gouvernement français accepte immédiatement, n'hésitant pas à abandonner les droits qu'il possède depuis le début de la guerre; mais les délégués italiens mettent comme condition essentielle de laisser l'Adriatique en dehors des pouvoirs de l'amiralissime. Dans ces conditions la mesure proposée est abandonnée.
L'escadre franco-britannique, constituée à Moudros, est placée sous les ordres d'un amiral français qui prend le titre de « Commandant des escadres alliées en mer Egée ». Le contre amiral anglais, commandant en mer Egée (C.-A. Lambert), conserve toutes ses attributions antérieures, à l'exception des opérations contre « les forces ennemies sortant des Dardanelles » qui seraient conduites par l'amiral français. Cette organisation étrange superpose ainsi deux Commandants en chef, l'un pour les circonstances normales, l'autre pour les circonstances exceptionnelles.


RÉORGANISATION DES FORCES NAVALES (JUIN - JUILLET 1918)

Le glissement des forces navales vers l'Orient conduit l'Amiral Gauchet à regrouper ses forces.
La première escadre qu'il commande directement, comprend nos sept dreadnoughts et le Condorcet.
La deuxième escadre détachée en mer Egée groupe trois cuirassés type Diderot, trois type Justice, deux britanniques type Lord-Nelson, deux escadrilles de torpilleurs (première et sixième).
La « Division de la mer Ionienne » (C.-A. Fatou), réunit les bases de Corfou, Patras, Itéa, Tarente; les forces flottantes, aériennes et terrestres qui leur sont affectées ; les écoles et le service des transports Tarente-Itéa. Cette formation soulage l'Etat-Major du Commandant en chef, de nombreux problèmes accessoires.
La division d'Orient prend le nom de division de Salonique.


OPERATIONS EN MER IONIENNE DE JUIN A NOVEMBRE 1918

Le 10 juin, dans le nord de l'Adriatique, les deux vedettes de Rizzo coulent le dreadnought autrichien Svent-Istvan. Cette attaque fait avorter le seul grand projet de sortie de la flotte autrichienne ayant reçu un commencement d'exécution.
Dans la nuit du 10 au 11 octobre, le Voltaire, qui rallie Moudros après refonte, reçoit deux torpilles à l'extrême avant. Il est escorté par les torpilleurs Touareg, Somali, Arabe et Hova, dont la réaction immédiate empêche le sous­marin de renouveler son attaque. Le cuirassé, grâce aux précautions prises par le service de sécurité, peut continuer sa route et mouiller à Milo dans la nuit. Le 26 octobre, sa voie d'eau est aveuglée par des moyens de fortune, il est prêt à prendre la mer et à marcher douze noeuds.
A la fin de septembre 1918, au moment de la déroute bulgare, le Général Franchet d'Espérey pensant que l'ennemi va s'appuyer sur Durazzo demande une opération navale pour lui interdire l'utilisation de cette base. Le Commandant en chef se prépare à effectuer cette opération mais la marine italienne s'en charge et l'exécute le 2 octobre.
Sous la pression de nos armées, la monarchie austro-hongroise s'effondre et le 31 octobre, le Gouvernement de Vienne signe l'acte de cession de sa flotte au Gouvernement Yougo-Slave qui vient de se constituer. Le pavillon croate est hissé sur tous les navires de guerre, des radiotélégrammes appellent les alliés; les hostilités sont virtuellement terminées en Méditerranée.
Le 3 novembre commencent les négociations d'armistice entre l'Italie et l'Autriche-Hongrie, l'acte définitif est signé le 4 à 15 heures; le même jour les délégués du Conseil National yougo-slave quittent Pola sur le torpilleur ex-autrichien 77 et arrivent à Corfou le 6 novembre. Le Touareg et le Sakalave vont à Cattaro et remontent dans les îles dalmates; ils reçoivent partout un accueil enthousiaste. Le 8 novembre, un conseil d'amiraux alliés est nommé pour surveiller les clauses de 1'armistice; le Contre-Amiral Fatou y représente la France.
Le 11 novembre, l'armistice est signé avec l'Allemagne; pour la première fois depuis le mois d'août 1914 les navires de guerre français hissent le grand pavois et saluent d'une salve de vingt et un coups de canon.


OPÉRATIONS EN MER EGÉE DE JUIN A NOVEMBRE 1918

Le premier soin des alliés devant les menaces qui se précisent en mer Noire est de renforcer le barrage des mines des Dardanelles; ce travail ne sera terminé qu'en octobre.
Le 9 juin 1918 arrivent à Moudros le Diderot, le Mirabeau et le Vergniaud (Vice-Amiral Darrieus, puis à partir du 22 juin, Vice-Amiral Amet). La deuxième escadre qui se constitue petit à petit est renforcée par les deux escadrilles venant de Brindisi et par quatre torpilleurs anglais. Quatorze sous-marins sont également affectés en principe à la mer Egée, mais il n'en reste souvent que trois ou quatre à Moudros. Le 10 octobre, la section Jules­Michelet, Ernest-Renan rallie.
L'aviation ennemie étant particulièrement active dans les environs des détroits et venant souvent à Moudros (bombardement de nuit du 24 septembre), les anglais constituent dans cette base un centre d'aviation important; ils disposent, en septembre, d'une douzaine d'avions de combat et de quelques hydravions; ces effectifs doivent être triplés à bref délai.
Le 11 octobre, le Vice-Amiral britannique Calthorpe arrive à Moudros, ce qui ne simplifie pas la question du commandement; il se considère d'ailleurs comme un simple spectateur et prévient l'Amiral Amet qu'en cas de rencontre avec l'ennemi il se regarderait comme embarqué sur un yacht. Cette situation étant évidemment délicate, le gouvernement britannique insiste pour que le Vice-Amiral Calthorpe prenne le commandement effectif, mais M. Clemenceau refuse.
A la fin d'octobre le Général Townshend, le prisonnier de Kut-el-Amara, amène au Vice-Amiral Calthorpe le parlementaire turc Tewtick Bey, chargé de demander un armistice, L'amiral lui communique les conditions élaborées à Versailles. Cette initiative, approuvée par le gouvernement britannique, est légèrement critiquée par la France qui fait remarquer que, seul le Commandant en chef des forces navales accrédité par les Alliés, c'est-à-dire l'Amiral Gauchet, a qualité pour traiter.
Le 26 octobre au soir, trois plénipotentiaires turcs arrivent à Moudros sur un croiseur anglais et le 30 octobre, à 21 heures, l'armistice est signée par l'Amiral Calthorpe seul; il est mis en vigueur le 31 à midi. Le Commandant en chef et le gouvernement français prennent acte du fait accompli.
Le 1er novembre, on commence le dragage des mines de l'entrée des Dardanelles pour permettre la remontée des détroits. Le 12 les escadres alliées quittent Moudros et le 13 novembre, à 8 heures, elles mouillent dans la Corne d'Or, devant Constantinople.
Le rêve de quatre années de blocus est accompli.


LA GUERRE SOUS-MARINE

Au moment où l'Amiral Gauchet prend ses hautes fonctions, l'autorité du Commandant en chef sur les forces de patrouille devient de plus en plus nominale: son éloignement du centre des opérations, la responsabilité de l'Armée Navale, les affaires grecques, ne lui laissent ni le temps ni les moyens de diriger effectivement la protection de la navigation commerciale. Cette tâche est confiée au Contre­Amiral Fatou qui a sous ses ordres les divisions de patrouilles de la Méditerranée Orientale (Capitaine de vaisseau Violette) et de la Méditerranée Occidentale (Capitaine de vaisseau Fossey).
La lutte contre les sous-marins allemands subit d'ailleurs une crise. Le système des routes patrouillées adopté jusqu'alors ne se révèle plus très efficace et donne lieu à de nombreuses critiques. Les pertes, en Médtterranée ont cependant baissé, passant de 170.000 tonnes en novembre 1916, à 70.000 en janvier 1917; mais on sait que l'Allemagne se recueille pour frapper un grand coup.


LA PÉRIODE DE RECHERCHE (DÉCEMBRE 1916-JUILLET 1917)

Les méthodes préconisées par les autorités alliées pour parer à cette situation sont très différentes. L'Amiral Fatou recommande les routes patrouillées pour l'ensemble du trafic, des routes spéciales pour les transports précieux, et dans tous les cas, des déroutements judicieux pour éviter les sous-marins menaçants. L'Amiral anglais Ballard propose des routes divergentes spéciales à chaque bâtiment; enfin un projet italien se rallie à la solution des convois.
La question est discutée à la conférence de Londres (23-24 janvier 1917). Les délégués ayant pu se mettre d'accord, on décide d'essayer en Méditerranée deux méthodes différentes: celle des routes patrouillées entre les ports de Provence et Salonique; celle des routes divergentes non patrouillées entre le cap Bon et Port-Saïd. On écarte la solution des convois devant la difficulté de grouper les cinq cents navires qui circulent simultanément en Méditerranée, et devant les pertes de rendement qu'il faudrait consentir.
L'application de ces décisions ne permet pas de dégager une doctrine, mais ne fait pas cesser les critiques qu'on adresse au système des routes patrouillées. Au mois d'avril l'Amiral Fatou, en montrant que le double système de protection adopté en Méditerranée a conduit les marines alliées à opérer strictement à la part, propose de protéger les foutes côtières par un patrouillage très dense et d'adopter les convois escortés pour les routes du large.
Depuis le 1er février, l'Allemagne a proclamé la guerre sous-marine sans restriction et les pertes dans la Manche et 1'océan sont devenues considérables. Le même effort ne s'est pas encore étendu à la Méditerranée où le tonnage coulé atteint seulement 90.000 tonnes en février et 50.000 tonnes en mars, mais la menace est imminente.
Les gouvernements décident de réunir la conférence qui doit constater les résultats des essais entrepris et prendre une décision. Elle se tient à Corfou en fin avril 1917 ; l'Amiral Gauchet la préside. La situation est de devenue brusquement critique; les sous-marins ennemis ont coulé 80 00O tonnes de navires dans la première semaine d'avril seulement, quadruplant ainsi le rendement des mois précédents.
Les délégués alliés adoptent la solution des convois escortés utilisant des routes de circonstance. Ce système doit être renforcé par l'augmentation de tous les moyens de protection, par l'utilisation de la navigation côtière ou de nuit et par le développement des ports de garage. On propose enfin pour unifier le commandement des patrouilles, de constituer à Malte un organe central appelé « Direction générale des routes maritimes en Méditerranée » placé sous les ordres du Vice-Amiral commandant les forces britanniques et chargé de tout ce qui concerne la protection de la navigation commerciale. Cette direction relèvera de la haute autorité du Commandant en chef français. Elle aura dans les ports des délégués chargés d'appliquer ses décisions. La conférence signale également la nécessité de hâter l'établissement de barrages fixes, en particulier dans le canal d'Otrante.
Dans le courant d'avril, vingt-quatre sous-marins allemands, constituant la presque totalité de la flottille ennemie, tiennent la mer, effectuant un total de deux cent quatre-vingt­dix jours de croisière. Le fameux U-35 s'avance jusqu'à l'ouest du détroit de Gibraltar où il bénéficie de la surprise et peut opérer presque impunément. Cet effort considérable porte ses fruits et le tonnage de navire s'élève à 210.000 tonnes, record des mensuelles en Méditerranée.
Dès le début de mai, l'Amiral Fatou se préoccupe de l'organisation des convois et il effectue dans ce but une tournée d'étude à travers la Méditerranée. En fin mai, établissant le bilan de ses moyens, il constate que sur 164 patrouilleurs (89 dans le bassin Occidental et 75 dans le bassin Oriental), 134 sont disponibles, dont les deux tiers seulement, soit 88, peuvent être utilisés simultanément à la mer.
Les mois de mai et de juin 1917 sont consacrés à la mise au point de la nouvelle organisation des convois, travail considérable exigeant de nombreux ajustements. On constate rapidement que le manque d'escorteurs oblige à augmenter l'importance des groupements qu'on avait encore l'espoir de limiter à trois navires. Le nouveau système est d'ailleurs loin de s'imposer. Le syndicat des armateur estime qu'il devient moins nécessaire depuis que les navires sont armés; les syndicats de capitaines au long cours, quoique partisans des convois discutent les formations adoptées et les méthodes d'application.
La conférence de Paris (23-24 juillet 1917) sanctionne les propositions de Corfou et pose le principe que la Direction générale des routes disposera dans l'intérêt général de toutes les forces de patrouilles alliées. Elle décide également d'établir un bilan des navires disponibles en Méditerranée pour ce service. Les pertes baissent légèrement; elles sont de 145.000 tonnes en mai, de 130.000 en juin.


LA PÉRIODE DE TRANSITION (JUILLET­DÉCEMBRE 1917)

Comme l'installation de la Direction des routes tarde, l'Amiral Merveilleux du Vignaux, directeur général des services de la guerre sous-marine, nouvellement créés au Ministère de la Marine, convoque les chefs de division des patrouilles (15-19 juillet 1917). Cette conférence a pour résultat de créer un bulletin de la guerre sous-marine, largement diffusé et doublé d'un bulletin hebdomadaire de renseignements des patrouilleurs. Enfin, des instructions générales sur la protection de la navigation sont rédigées (15 août), pour préciser les règles de formation, de commandement et de manoeuvre des convois. En août, le ministre nomme les délégués des routes dans les ports méditerranéens; il précise que leur mission est de se tenir en liaison avec les autorités navales et commerciales pour former les convois, assurer leurs escortes, donner toutes instructions utiles et dérouter les navires à la mer.
Les 4 et 5 septembre 1917, sous la suggestion des Etats-Unis, une conférence inter-alliée se réunit à Londres; les Amiraux Salaun et de Bon nous représentent. Elle décide à l'unanimité d'organiser immédiatement en Méditerranée un système général de convois et d'augmenter la protection des drifters d'Otrante par des patrouilles de torpilleurs. Les Amiraux Jellicoe et de Bon estiment également qu'on pourrait occuper quelques îles dalmates pour réagir offensivement contre les bases de sous-marins de l'Adriatique; cette suggestion est écartée par les Italiens qui estiment sa réalisation impossible.
Le Vice-Amiral Calthrope prend, le 27 août, à Malte, ses doubles fonctions de Commandant en chef des forces britanniques en Méditerranée et de président de la Délégation générale interalliée des routes. La délégation bientôt complétée, comprend un représentant français (Contre-Amiral Fatou, puis Contre-Amiral Ratyé, à partir du 17 novembre 1917), un italien (Capitaine de Vaisseau Como, puis le Contre-Amiral Salazar), un japonais (Contre-Amiral Sato), un américain (Contre-Amiral Bullard) et le commandant des patrouilles britanniques (Contre-Amiral Fergusson, puis Commodore Baird).
Sur ces entrefaites de nombreux torpillages sur la côte d'Algérie ayant impressionné l'opinion publique, la D. G. I. R. étudie la question (4 décembre). L'Amiral Ratyé propose d'établir dans cette zone plusieurs routes assez éloignées pour qu'un même sous-marin ne puisse pas les surveiller à la fois.
La pratique des convois montre surtout la nécessité d'augmenter le nombre des escorteurs; en fin 1917, nous pouvons heureusement renforcer nos flottilles de la Méditerranée Occidentale de vingt-deux patrouilleurs et de trente dragueurs.
L'utilisation des bateaux-pièges: voiliers armés de canons et de tubes lance-torpilles, envisagée en fin 1916 est réalisée dans le courant de 1917. Le 1er mai, le voilier Madeleine est mis en service; le 8 mai, il a, devant Bougaroni, un engagement infructueux avec un sous-marin. Les autres voiliers pièges, ]ean-Dust, François-Marie et Hirondelle IV n'obtiennent pas de meilleurs résultats. L'ennemi est devenu trop méfiant, ces navires sont armés trop tard pour agir efficacement en Méditerranée.
On jette également dans la lutte nos propres sous-marins soit en les faisant remorquer par un bâtiment servant d'appât, soit en plongée affût, soit en plongée rateau pour balayer une zone déterminée. Ces opérations donnent lieu à plusieurs engagements mais aucun n'est couronné de succès.
En fin 1917 on doit constater que les procédés offensifs, basés sur la surprise sont éventés par l'ennemi et échouent. Il est d'ailleurs certain que le meilleur appât pour l'ennemi est le convoi lui-même. Dans un de ses rapports, l'Amiral Ratyé lance l'idée féconde d'utiliser le convoi offensif. Certes, dit-il, éviter qu'un cargo soit coulé est une bonne affaire, mais couler un sous-marin en est une meilleure : il préconise en conséquence d'opérer offensivement autour du convoi en utilisant d'une manière intensive la meilleure arme qui soit: la grenade.
En juillet, seize sous-marins seulement opèrent en Méditerranée et ne coulent que 85.000 tonnes. Après les brillants résultats d'avril et de mai, c'est une désillusion pour l'Amirauté allemande qui marque son mécontentement aux commandants de ses navires. En août, nos pertes augmentent légèrement: 110.000 tonnes; en septembre environ 90.000 tonnes; en octobre et novembre, 135 à 140.000 tonnes. Au cours de cette période les navires coulés au canon sont de plus en plus rares et l'utilisation de la torpille se généralise. A partir de septembre on constate des attaques de nuit à la torpille; en octobre commencent les attaques répétées contre le même convoi, qui deviendront plus tard si fréquentes.


LA PERIODE DES RÉSULTATS (JANVIER - NOVEMBRE 1918)

La conférence de Londres (22-23 janvier 1918) décide la convocation d'une réunion de spécialistes à Rome (8 et 9 février) qui précise les moyens de réaliser le barrage d'Otrante et discute l'importance des coopérations italienne, américaine et japonaise.
La conférence de Londres (12-14 mars 1918) étudie un mémorandum américain prévoyant l'occupation de plusieurs îles dalmates et nécessitant la coopération de l'armée. Le Conseil militaire interallié signale l'impossibilité de consacrer actuellement des troupes à cette opération, mais conseille d'en continuer l'étude.
La conférence de Paris (26-27 avril) propose la mise en commun des moyens de réparation et de sauvetage; la discussion se poursuit à Rome (9-14 mai) et n'aboutit pas. Une autre sous-commission (Rome 15-21 mai) reprend 1'étude de l'occupation de la péninsule de Sabioncello et de l'île de Curzola; on estime que ce projet ne doit pas ralentir la mise en place du barrage d'Otrante. La conférence de Londres (11-12 juin 1918) décide de remettre l'opération.
Le 11 juillet, 1'Amiral Sims adresse un mémorandum au Conseil Naval interallié visant l'établissement de nouveaux barrages de mines en Méditerranée. Le Conseil renvoie la question à la Commission de Malte qui décide de renforcer immédiatement les barrages des Dardanelles, de continuer les travaux du barrage d'Otrante et de le doublet par un barrage de mines effectué par les Etats-Unis entre Leuca et Fano. On écarte, sur l'avis de l'Amiral Ratyé, l'établissement d'un champ de mines entre le cap Bon et la Sicile; on retient le projet de barrage de mines américain en mer Egée. La commission demande également qu'on étudie le plus tôt possible la fermeture de Gibraltar.
La conférence de Paris (13-14 septembre) est réunie sur l'initiative de M. G. Leygues pour en finir avec les hésitations qui se manifestent pour la protection du commerce en Méditerranée; elle fixe l'ordre de priorité des barrages de mines et demande aux Etats-Unis cinquante chasseurs de sous-marins supplémentaires.
Dans les premiers mois de 1918 la délégation de Malte se réunit fréquemment pour unifier les règles de protection de la navigation commerciale; le 6 avril elle refond le fascicule des itinéraires en Méditerranée et adopte la rédaction de l'Amiral Ratyé.
Toute la navigation commerciale de la Méditerranée est groupée en convois escortés par au moins trois patrouilleurs; la formation de jour est autant que possible la ligne de front, l'obligation de zigzaguer est impérative. En octobre, une circulaire précise la distinction entre la conduite du convoi donnée à un navire de commerce et le commandement militaire revenant au chef de l'escorte.
Au début de 1918, devant le danger de la navigation de nuit, surtout par les nuits claires de la Méditerranée, la délégation de Malte recommande un déboîtement très net des convois à la tombée du jour, pour dérouter les sous-marins qui ont pris son contact.
L'organisation des convois et leur acheminement constitue le gros travail de la délégation des routes; C'est ainsi qu'en août, 173 convois comprenant 1.317 bâtiments de commerce sillonnent la Méditerranée.
En juillet 1918, dans un important document, l'Amiral Ratyé expose le développement rationnel des moyens de protection utilisés, convois légers offensifs obtenus en armant les bâtiments de commerce de grenades; veille organisée sur tous les navires; renfort d'escorte dans les parages dangereux; patrouillage de surface, aériens et sous-marins; champs de mines offensifs; navigation souple et changeante; barrage d'Otrante, et surtout une stratégie et une tactique orientées de plus en plus offensivement.
L'année 1918 voit augmenter le nombre des groupes offensifs d'écoute, armés d'appareils spéciaux dont les meilleurs sont les Walser. En fin juillet, six groupes sont en service et arrivent à plusieurs reprises au contact et au grenadage d'un sous-marin avec de grandes chances de réussite.
Les opérations de voiliers-pièges en liaison avec les sous-marins continuent. Le 6 avril, le voilier Madeleine-III opérant isolément prévient par T.S.F. qu'il est engagé avec l'ennemi; le lendemain on ne trouve de lui que des épaves.
Les patrouilles aériennes prennent, au cours de 1918, un développement considérable. On compte dans l'année, 13.768 sorties d'hydravions et 28.000 heures de vol, pendant lesquelles nos aviateurs repèrent ou attaquent 39 sous-marins. Parmi ces tentatives, trois paraissent efficaces. Le 20 février, trois sections parties de Corfou, à la recherche d'un sous-marin, le découvrent, quatre bombes sont lancées, deux éclatent à proximité du kiosque, l'ennemi coule. Le 18 mai, un sous-marin attaqué successivement par une section d'hydravions d'Oran et deux d'Arzew subit des avaries qui l'obligent à se réfugier à Carthagène. Le 16 juin, un sous-marin est attaqué par une section de Salonique; après l'explosion de quatre bombes, on constate un gros bouillonnement d'air qui persiste pendant une heure au même endroit.
Entre janvier et mai, le nombre des sous-marins croisant chaque mois en Méditerranée se maintient aux environs de vingt-trois; ces bâtiments nous infligent des pertes mensuelles oscillant entre 78.000 et 135.000 tonnes. A partir de juin, ces pertes diminuent sensiblement, par suite de la destruction de cinq sous-marins ennemis entre le 16 mai et le 12 juin. Elles sont de 55.000 tonnes en juin, elles passent â 40.000 tonnes en septembre-octobre: c'est la fin de la guerre sous-marine.



En définitive pendant ces deux dernières années de guerre, l'Armée Navale assura le fonctionnement d'un immense service d'étapes à travers la Méditerranée. C'est à l'abri de sa force, derrière le réseau puissant et attentif de ses escadres de ligne, sous la protection directe de ses bâtiments de patrouille et d'escorte que passèrent les milliers de cargos amenant aux Alliés les productions du monde, ou assurant le trafic militaire des théâtres extérieurs d'opérations.
Cependant, malgré l'allure d'une stabilisation apparente, jamais guerre ne présenta des aspects plus divers, n'exigea davantage l'attention soutenue des chefs et ne demanda aux matelots autant d'efforts, de courage, d'abnégation. La marine française accomplit brillamment cette tâche ingrate, au milieu de l'indifférence générale, sans que rien ne vienne soutenir sa volonté ou fouetter son enthousiasme, sans même aucun espoir de gloire ou de récompense, parce que les dangers bravés quotidiennement ne se manifestaient pas d'une manière tangible.
Les escadres de ligne et les divisions de croiseurs, malgré leur inertie apparente, constituèrent l'élément essentiel de la sécurité navale de la Méditerranée. Judicieusement réparties dans leurs bases stratégiques, toujours prêtes à intervenir à la première alerte pour jeter toute leur puissance offensive dans la balance, ces forces empêchèrent la sortie de l'escadre autrichienne et masquèrent celles que l'ennemi possédait à Constantinople ou qu'il récupérera par la suite en mer Noire. A ces missions purement militaires s'ajoutèrent des objectifs secondaires ne manquant pas d'intérêt : c'est la menace des canons de la flotte qui fit capituler le gouvernement grec et assura la sécurité de l'armée d'Orient; enfin, le blocus des côtes ennemies, l'aide efficace de la marine aux opérations entreprises par l'armée, en Palestine et en Syrie, ne furent pas sans influence sur l'effondrement du front oriental, premier indice de la victoire.
Les forces légères participèrent d'une manière plus active à la protection directe du commerce. Après bien des tâtonnements, c'est sous l'impulsion directe de l'Amiral Gauchet qu'on réalisa l'organisation des convois; cette oeuvre immense jugée longtemps irréalisable, qui groupa les navires marchands en escadres et jeta sur les routes commerciales des échiquiers de cargos, sous la garde vigilante de nombreux bâtiments de guerre. Cette concentration des moyens de défense à proximité immédiate de l'objectif visé par les sous-marins ennemis, permit de riposter efficacement à l'offensive sournoise montée contre nos lignes de communications, et d'en avoir finalement raison.
Si la marine française put ainsi réaliser dans le calme, le silence et l'héroïsme d'une longue patience tout ce qu'on attendait d'elle, on le doit à ses équipages, à ses états-majors et surtout à son chef.
Pendant ces longues années, les matelots comme les officiers accomplirent leur tâche monotone sans un moment de défaillance, sans une minute de découragement. Sur les cuirassés et croiseurs ils répétèrent inlassablement les mêmes gestes pour être prêts à la minute voulue, assurant non seulement l'entraînement, la réparation et le ravitaillement de leurs propres navires, mais encore l'installation et l'entretien des bases nécessaires à l'existence de la flotte. Sur les bâtiments légers et les patrouilleurs ils accomplirent un service presque permanent d'escorte, faisant quelque-fois plus de douze heures de quart par jour, en sentant planer sur eux la menace constante d'un ennemi invisible, de la torpille qui les cherchait entre deux eaux.
Le chef qui coordonnait tous ces efforts, dont l'action s'étendait de Gibraltar à Suez, des rivages de la Syrte aux côtes provençales, montra qu'il était particulièrement qualifié pour l'immensité et la diversité de cette tâche.
Technicien averti, au courant de tous les progrès des armes modernes, esprit positif et méthodique, doué d'un robuste bon sens mis au service d'une remarquable intelligence, l'Amiral Gauchet possédait au suprême degré le talent objectif de l'utilisateur. C'était un travailleur infatigable, mais un travailleur actif et réaliste, dédaigneux des discussions byzantines et amoureux des études qui aboutissent. Caractère exceptionnel de chef il ne craignait aucune responsabilité, n'admettait jamais de demi-mesures; à deux reprises, au cours de son commandement, croyant percevoir un léger désaveu dans les ordres du ministre, il a demandé à être relevé de ses fonctions, ne pouvant admettre qu'on lui marchande la confiance nécessaire à l'accomplissement de sa lourde tâche.
Dégagé de tout esprit de clan, de toute coterie, de toute intrigue, franc et droit comme un mât de navire, l'Amiral Gauchet cachait mal sous l'abord un peu bourru des anciens marins et des natures timides, un coeur sensible et plein d'affection pour tous ses subordonnés, des officiers de son état-major aux matelots de ses équipages. Marin dans l'âme, adorant son métier, il a mené au cours de ses deux années de commandement, en temps de guerre, une existence d'une simplicité légendaire et s'il a quitté deux fois son bâtiment amiral pendant quelques heures, c'est que sa présence à terre était impérativement exigée par des cérémonies officielles.
La farouche modestie de l'Amiral Cauchet s'est toujours complue dans l'effacement anonyme du soldat et dans la simple satisfaction du devoir accompli. Ce silence a certainement contribué à maintenir les contemporains dans l'ignorance des services rendus par la marine française et par son chef. Mais l'histoire ne s'y trompera pas; elle saura rétablir les faits et rendre à l'Armée Navale la part importante qui lui revient sur le chemin héroïque conduisant à la victoire.







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