La conférence de Londres (22-23 janvier 1918) décide la convocation d'une réunion de spécialistes à Rome (8 et 9 février) qui précise les moyens de réaliser le barrage d'Otrante et discute l'importance des coopérations italienne, américaine et japonaise.
La conférence de Londres (12-14 mars 1918) étudie un mémorandum américain prévoyant l'occupation de plusieurs îles dalmates et nécessitant la coopération de l'armée. Le Conseil militaire interallié signale l'impossibilité de consacrer actuellement des troupes à cette opération, mais conseille d'en continuer l'étude.
La conférence de Paris (26-27 avril) propose la mise en commun des moyens de réparation et de sauvetage; la discussion se poursuit à Rome (9-14 mai) et n'aboutit pas. Une autre sous-commission (Rome 15-21 mai) reprend 1'étude de l'occupation de la péninsule de Sabioncello et de l'île de Curzola; on estime que ce projet ne doit pas ralentir la mise en place du barrage d'Otrante. La conférence de Londres (11-12 juin 1918) décide de remettre l'opération.
Le 11 juillet, 1'Amiral Sims adresse un mémorandum au Conseil Naval interallié visant l'établissement de nouveaux barrages de mines en Méditerranée. Le Conseil renvoie la question à la Commission de Malte qui décide de renforcer immédiatement les barrages des Dardanelles, de continuer les travaux du barrage d'Otrante et de le doublet par un barrage de mines effectué par les Etats-Unis entre Leuca et Fano. On écarte, sur l'avis de l'Amiral Ratyé, l'établissement d'un champ de mines entre le cap Bon et la Sicile; on retient le projet de barrage de mines américain en mer Egée. La commission demande également qu'on étudie le plus tôt possible la fermeture de Gibraltar.
La conférence de Paris (13-14 septembre) est réunie sur l'initiative de M. G. Leygues pour en finir avec les hésitations qui se manifestent pour la protection du commerce en Méditerranée; elle fixe l'ordre de priorité des barrages de mines et demande aux Etats-Unis cinquante chasseurs de sous-marins supplémentaires.
Dans les premiers mois de 1918 la délégation de Malte se réunit fréquemment pour unifier les règles de protection de la navigation commerciale; le 6 avril elle refond le fascicule des itinéraires en Méditerranée et adopte la rédaction de l'Amiral Ratyé.
Toute la navigation commerciale de la Méditerranée est groupée en convois escortés par au moins trois patrouilleurs; la formation de jour est autant que possible la ligne de front, l'obligation de zigzaguer est impérative. En octobre, une circulaire précise la distinction entre la conduite du convoi donnée à un navire de commerce et le commandement militaire revenant au chef de l'escorte.
Au début de 1918, devant le danger de la navigation de nuit, surtout par les nuits claires de la Méditerranée, la délégation de Malte recommande un déboîtement très net des convois à la tombée du jour, pour dérouter les sous-marins qui ont pris son contact.
L'organisation des convois et leur acheminement constitue le gros travail de la délégation des routes; C'est ainsi qu'en août, 173 convois comprenant 1.317 bâtiments de commerce sillonnent la Méditerranée.
En juillet 1918, dans un important document, l'Amiral Ratyé expose le développement rationnel des moyens de protection utilisés, convois légers offensifs obtenus en armant les bâtiments de commerce de grenades; veille organisée sur tous les navires; renfort d'escorte dans les parages dangereux; patrouillage de surface, aériens et sous-marins; champs de mines offensifs; navigation souple et changeante; barrage d'Otrante, et surtout une stratégie et une tactique orientées de plus en plus offensivement.
L'année 1918 voit augmenter le nombre des groupes offensifs d'écoute, armés d'appareils spéciaux dont les meilleurs sont les Walser. En fin juillet, six groupes sont en service et arrivent à plusieurs reprises au contact et au grenadage d'un sous-marin avec de grandes chances de réussite.
Les opérations de voiliers-pièges en liaison avec les sous-marins continuent. Le 6 avril, le voilier Madeleine-III opérant isolément prévient par T.S.F. qu'il est engagé avec l'ennemi; le lendemain on ne trouve de lui que des épaves.
Les patrouilles aériennes prennent, au cours de 1918, un développement considérable. On compte dans l'année, 13.768 sorties d'hydravions et 28.000 heures de vol, pendant lesquelles nos aviateurs repèrent ou attaquent 39 sous-marins. Parmi ces tentatives, trois paraissent efficaces. Le 20 février, trois sections parties de Corfou, à la recherche d'un sous-marin, le découvrent, quatre bombes sont lancées, deux éclatent à proximité du kiosque, l'ennemi coule. Le 18 mai, un sous-marin attaqué successivement par une section d'hydravions d'Oran et deux d'Arzew subit des avaries qui l'obligent à se réfugier à Carthagène. Le 16 juin, un sous-marin est attaqué par une section de Salonique; après l'explosion de quatre bombes, on constate un gros bouillonnement d'air qui persiste pendant une heure au même endroit.
Entre janvier et mai, le nombre des sous-marins croisant chaque mois en Méditerranée se maintient aux environs de vingt-trois; ces bâtiments nous infligent des pertes mensuelles oscillant entre 78.000 et 135.000 tonnes. A partir de juin, ces pertes diminuent sensiblement, par suite de la destruction de cinq sous-marins ennemis entre le 16 mai et le 12 juin. Elles sont de 55.000 tonnes en juin, elles passent â 40.000 tonnes en septembre-octobre: c'est la fin de la guerre sous-marine.
En définitive pendant ces deux dernières années de guerre, l'Armée Navale assura le fonctionnement d'un immense service d'étapes à travers la Méditerranée. C'est à l'abri de sa force, derrière le réseau puissant et attentif de ses escadres de ligne, sous la protection directe de ses bâtiments de patrouille et d'escorte que passèrent les milliers de cargos amenant aux Alliés les productions du monde, ou assurant le trafic militaire des théâtres extérieurs d'opérations.
Cependant, malgré l'allure d'une stabilisation apparente, jamais guerre ne présenta des aspects plus divers, n'exigea davantage l'attention soutenue des chefs et ne demanda aux matelots autant d'efforts, de courage, d'abnégation. La marine française accomplit brillamment cette tâche ingrate, au milieu de l'indifférence générale, sans que rien ne vienne soutenir sa volonté ou fouetter son enthousiasme, sans même aucun espoir de gloire ou de récompense, parce que les dangers bravés quotidiennement ne se manifestaient pas d'une manière tangible.
Les escadres de ligne et les divisions de croiseurs, malgré leur inertie apparente, constituèrent l'élément essentiel de la sécurité navale de la Méditerranée. Judicieusement réparties dans leurs bases stratégiques, toujours prêtes à intervenir à la première alerte pour jeter toute leur puissance offensive dans la balance, ces forces empêchèrent la sortie de l'escadre autrichienne et masquèrent celles que l'ennemi possédait à Constantinople ou qu'il récupérera par la suite en mer Noire. A ces missions purement militaires s'ajoutèrent des objectifs secondaires ne manquant pas d'intérêt : c'est la menace des canons de la flotte qui fit capituler le gouvernement grec et assura la sécurité de l'armée d'Orient; enfin, le blocus des côtes ennemies, l'aide efficace de la marine aux opérations entreprises par l'armée, en Palestine et en Syrie, ne furent pas sans influence sur l'effondrement du front oriental, premier indice de la victoire.
Les forces légères participèrent d'une manière plus active à la protection directe du commerce. Après bien des tâtonnements, c'est sous l'impulsion directe de l'Amiral Gauchet qu'on réalisa l'organisation des convois; cette oeuvre immense jugée longtemps irréalisable, qui groupa les navires marchands en escadres et jeta sur les routes commerciales des échiquiers de cargos, sous la garde vigilante de nombreux bâtiments de guerre. Cette concentration des moyens de défense à proximité immédiate de l'objectif visé par les sous-marins ennemis, permit de riposter efficacement à l'offensive sournoise montée contre nos lignes de communications, et d'en avoir finalement raison.
Si la marine française put ainsi réaliser dans le calme, le silence et l'héroïsme d'une longue patience tout ce qu'on attendait d'elle, on le doit à ses équipages, à ses états-majors et surtout à son chef.
Pendant ces longues années, les matelots comme les officiers accomplirent leur tâche monotone sans un moment de défaillance, sans une minute de découragement. Sur les cuirassés et croiseurs ils répétèrent inlassablement les mêmes gestes pour être prêts à la minute voulue, assurant non seulement l'entraînement, la réparation et le ravitaillement de leurs propres navires, mais encore l'installation et l'entretien des bases nécessaires à l'existence de la flotte. Sur les bâtiments légers et les patrouilleurs ils accomplirent un service presque permanent d'escorte, faisant quelque-fois plus de douze heures de quart par jour, en sentant planer sur eux la menace constante d'un ennemi invisible, de la torpille qui les cherchait entre deux eaux.
Le chef qui coordonnait tous ces efforts, dont l'action s'étendait de Gibraltar à Suez, des rivages de la Syrte aux côtes provençales, montra qu'il était particulièrement qualifié pour l'immensité et la diversité de cette tâche.
Technicien averti, au courant de tous les progrès des armes modernes, esprit positif et méthodique, doué d'un robuste bon sens mis au service d'une remarquable intelligence, l'Amiral Gauchet possédait au suprême degré le talent objectif de l'utilisateur. C'était un travailleur infatigable, mais un travailleur actif et réaliste, dédaigneux des discussions byzantines et amoureux des études qui aboutissent. Caractère exceptionnel de chef il ne craignait aucune responsabilité, n'admettait jamais de demi-mesures; à deux reprises, au cours de son commandement, croyant percevoir un léger désaveu dans les ordres du ministre, il a demandé à être relevé de ses fonctions, ne pouvant admettre qu'on lui marchande la confiance nécessaire à l'accomplissement de sa lourde tâche.
Dégagé de tout esprit de clan, de toute coterie, de toute intrigue, franc et droit comme un mât de navire, l'Amiral Gauchet cachait mal sous l'abord un peu bourru des anciens marins et des natures timides, un coeur sensible et plein d'affection pour tous ses subordonnés, des officiers de son état-major aux matelots de ses équipages. Marin dans l'âme, adorant son métier, il a mené au cours de ses deux années de commandement, en temps de guerre, une existence d'une simplicité légendaire et s'il a quitté deux fois son bâtiment amiral pendant quelques heures, c'est que sa présence à terre était impérativement exigée par des cérémonies officielles.
La farouche modestie de l'Amiral Cauchet s'est toujours complue dans l'effacement anonyme du soldat et dans la simple satisfaction du devoir accompli. Ce silence a certainement contribué à maintenir les contemporains dans l'ignorance des services rendus par la marine française et par son chef. Mais l'histoire ne s'y trompera pas; elle saura rétablir les faits et rendre à l'Armée Navale la part importante qui lui revient sur le chemin héroïque conduisant à la victoire.